Abdelouahed Moutassir et Mehdi Akhrif dont l’ouvrage sera débattu aujourd’hui à Asilah: “Nos villes doivent êtres bâties selon un nouveau modèle urbain basé sur l’héritage”


Propos recueillis par Ahmed Saaidi
Mercredi 11 Juillet 2012

Abdelouahed Mountassir et Mehdi Akhrif.
Abdelouahed Mountassir et Mehdi Akhrif.
Abdelouahed Mountassir et Mehdi Akhrif ne sont plus à présenter. Grand architecte, le premier a remporté plusieurs concours qui lui ont valu respect et considération auprès de ses pairs, grâce à un savoir-faire et une expérience forgés au fil d’une carrière riche et pleine d’audace. Le second, quant à lui, est poète, traducteur, grand amateur de Pessoa devant l’Eternel et membre de l’Union des écrivains du Maroc, de l’Union des écrivains arabes et de la Maison de la poésie. Tous deux, viennent de cosigner leur deuxième ouvrage «La ville heureuse».
Entretien.


Libé : Après un premier ouvrage que vous avez cosigné avec le poète Mehdi Akhrif, un second, intitulé : « La ville heureuse » va être bientôt mis sur les rayons des librairies après sa présentation officielle ce mercredi 11 juillet au Festival d’Asilah. En quoi consiste-t-il ?
Abdelouahed Mountassir : Ce que j’ai voulu présenter au lecteur dans ce livre n’est pas un exposé global sur la ville mais ce sont quelques idées, visions et impressions que j’ai accumulées au cours de mon expérience et mon vécu dans la ville et avec la ville, en tant qu’architecte urbaniste intéressé par les questions de ville et de l’urbanisation.
Ainsi, j’ai tenu à ce que ces idées prennent tantôt la forme de contemplations, tantôt celle d’une approche critique de la réalité de la ville d’aujourd’hui, en suggérant des propositions globales pour le projet de la « Ville heureuse » que nous rêvons tous de voir se réaliser dans nos villes. Et en même temps, j’ai fait en sorte que ces suggestions et idées aient un caractère fragmentaire qui s’oriente vers l’essentiel et évite la tendance à l’analyse, et à la déconstruction profonde.
Dites-nous Mehdi Akhrif, comment est née l’idée de ce livre?
Mehdi Akhrif: D’abord, j’aimerais bien préciser que l’urbanisme et l’architecture sont des domaines qui me semblent très éloignés de mes préoccupations. J’ose dire que mes connaissances en la matière, restent largement rudimentaires. Mais, je crois que ma relation d’amitié avec Mountassir et nos affinités intellectuelles ont donné naissance à ce projet qui est le second du genre. Notre relation a plus de dix ans d’existence et a fortement influencé ma vie personnelle et intellectuelle. Elle a été en quelque sorte la raison qui m’a poussé à entrer de plain-pied dans le champ de l’architecture et de l’urbanisme.
En peu de mots, qu’est-ce que la ville pour Mountassir ?
La ville est la première réalisation urbaine créée par l’homme,   qui lui a permis de faire un grand bond dans la marche de la civilisation en créant des sociétés plus étendues, aux rôles divers et fonctions complémentaires.
C’est pourquoi il est indispensable de préserver son rôle et sa place comme un centre de relations et d’expériences humaines accumulées à travers l’Histoire.
Pourquoi ? Parce que la ville a toujours été une source de liberté et de démocratie, et sans ville, il ne peut y avoir de démocratie.
Pour l’architecte-urbaniste que vous êtes, qu’est-ce qu’une ville heureuse ?
Abdelouahed Mountassir : La ville heureuse est une ville bâtie selon des critères socioéconomiques qui font régner la cohabitation et l’harmonie au lieu de la peur, de l’éloignement et de la laideur.
C’est une ville où riches et pauvres vivent ensemble, où chacun d’entre eux la considère comme sa propre ville.          
… Et pour le poète que vous-êtes, qu’est-ce qu’une ville heureuse pour Mehdi Akhrif ?
Mehdi Ahrif : Le virus de la ville qui a tourmenté Abdelouahed Mountassir et dont il a parlé dans son livre : «Abdelouahed Mountassir : l’architecte, l’homme» n’est pas un seul virus, mais ce sont deux virus : l’un des deux est le virus de la grande ville et l’autre est celui de la petite ville.
Moi, naturellement, j’appartiens à la deuxième catégorie. Depuis mon enfance jusqu'à aujourd’hui, à l’exception des années d’université à Fès, et des six ans de travail dans les villes de Khouribga, Rabat et Tanger, j’ai vécu dans de petites villes, à Ksar El Kebir, puis Larache et enfin Asilah, avec des séjours plus ou moins longs et par intermittence à Tétouan ou dans les villages de Béni Arous.
Asilah est ma ville, ma ville vraiment heureuse, mon paradis et ma demeure, d’une manière similaire à celle de Pessoa qui considérait Lisbonne comme sa maison.
Parce que vous vivez à Asilah, vous la considérez comme seule ville heureuse ?
Mehdi Akhrif : Je ne vis pas qu’à Asilah seule. Je vis dans plusieurs villes entremêlées dans une seule : Le Caire, Madrid, Paris,  Cordoue,  Grenade ou Lisbonne.  Il y a des villes auxquelles je me suis attaché sentimentalement sans les avoir jamais visitées, comme Vienne, Berlin, Florence et Budapest.
Vous attachez également une grande importance au caractère festif des villes. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
La joie de vivre est une propriété caractéristique voire génétique de la ville. Les fêtes sont l’incarnation de cette joie : sur les places et les avenues, le mélange et l’échange du plaisir, le défoulement collectif.
Nous avons hérité d’une longue tradition de fêtes, dont certaines sont liées à la religion et d’autres profanes, comme la procession des cierges à Salé, la procession de Bouarrakia à Tanger, la saison des fleurs à Kalaat M’gouna, etc.
La ville dans sa typomorphologie actuelle tue ces manifestations de fête parce qu’elle ne prévoit pas d’espaces appropriés, en raison de la négligence des valeurs, des coutumes et des dimensions de fêtes culturelles de la ville.
Vous ne semblez pas aimer le distinguo fait généralement entre les centres-villes et les périphéries. Pourquoi ?
Parler du centre-ville et de la banlieue est un concept inacceptable. Ou bien on a la ville ou bien la non-ville. Cette division qui existe effectivement aujourd’hui dans plusieurs grandes agglomérations convertit les banlieues ou périphéries en simples dortoirs.
Leur croissance a produit des ruptures qui ne cessent d’élargir l’écart entre les groupes sociaux, ce qui a approfondi, et approfondit toujours, le sentiment d’isolement et de non-appartenance au lieu.
Dans votre nouvel ouvrage, vous demandez également que l’on procède à une relecture critique du passé de nos villes.
Abdelouahed Mountassir : La relecture du passé est nécessaire et utile pour comprendre ce qui est arrivé à nos villes, et surtout ce qui s’est passé directement après l’indépendance. Nous avons hérité de deux villes : la ville ancienne précoloniale et la ville européenne dite moderne, et nous y avons ajouté une autre ville qui a grandi rapidement du fait de la croissante migration de la campagne vers la ville. On peut qualifier cette excroissance de non-ville. En la bâtissant, nous le faisions imprégnés par une vision qui prenait compte de l’effritement structurel des classes sociales, via la construction de groupements d’habitats séparés : quartiers industriels, quartiers pour les classes pauvres et moyennes, et quartiers riches…
Cet effritement a eu des conséquences négatives, puisqu’il a abouti à une consécration croissante des inégalités.
La problématique de la ville n’est pas seulement économique, elle est au fond une donne sociale.
Ce que je pense, c’est que nous ne pouvons point nous passer d’une relecture de l’ancienne ville, une relecture qui devrait être un point de départ pour l’analyse et la rectification des perceptions, dans le but serait de s’inspirer de son modèle pour bâtir la ville marocaine d’aujourd’hui.
Je considère que ce regard critique est inéluctable parce qu’il permet un retour vers des valeurs urbaines, structurelles délibérément ignorées.
Que doit-on faire de manière pratique ?
Mehdi Akhrif : Personnellement, j’ai ma propre utopie, et c’est une utopie qui n’a aucune relation avec le futur puisqu’elle est entièrement reliée au passé.
Abdelouahed Mountassir : Nous devons, en premier lieu, réviser les lois et les règles de l’urbanisme pour qu’elles soient compatibles avec les exigences des villes de l’avenir, qui seront bâties selon un nouveau modèle urbain basé sur l’héritage.
J’espère que les changements politiques positifs que le Maroc a connus, et surtout la nouvelle Constitution, auront un effet positif sur la situation générale de nos villes.


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